Ce n’était pas difficile de savoir ce qu’elle faisait ici. Parce qu’elle aussi avait ce don si spécial, la belle italienne se trouvait tout à fait dans son élément en haut de la tour de divination. Une fois passée la salle de cours aux allures alambiquées, on pouvait monter encore plus haut, toujours plus et si elle avait eu des ailes, elle se serait envolée. Ici, près du vide qu’elle aimait tant, Anna Lisa s’assit dans un coin et commença tranquillement à se rouler un petit joint. Pas trop chargé, mais pas non plus trop peu. Elle savait y faire et en deux secondes l’affaire était pliée. Elle laissa tomber sa tête contre les pierres froides qui aidaient Poudlard à tenir debout, et rien qu’à cette idée elle les plaignait. Qui aurait pu vouloir cela ? Faire partie d’une structure si complexe et co-dépendante ? Oui… Elle aussi, elle aurait voulu en faire partie en fait. Mais c’était plus simple pour elle de le nier, même concernant des pierres.
La blonde, pour une fois ne créer pas, et quand elle ne créer pas, elle pensait. A quoi ? Elle ne savait trop. Juste à ce qui lui passait par la tête, et aujourd’hui se fut à Marcus qu’elle pensa. Elle devrait organiser une petite virée en Italie, au couvent, cela ferait plaisir à Fausta. Et elle ne pouvait cacher qu’à elle aussi ca lui ferait plaisir, parce qu’après tout, c’était son neveu et elle l’aimait comme tel, peu importait qui était le père. Et alors qu’elle repensait à eux, et qu’elle allumait son joint pour en prendre une première taffe, elle prit de sa main libre un objet qu’elle avait emprunté dans la salle de divination. Elle comptait bien le reposer exactement là où elle l’avait pris, et ne pensait pas faire de mal à être un peu curieuse. Assise là, en tailleur, la tête baissée cachée par un rideau de cheveux à étudier l’objet inconnu, son joint dans l’autre main, Anna Lisa ne pouvait faire plus représentative de sa personne. Elle, la vraie elle. Si seulement elle avait eu ne serait-ce qu’un soupçon d’idée de ce qu’elle avait entre les doigts, alors elle aurait enfin percé un secret dans sa vie, et elle aurait pu le révéler à tous, elle n’en aurait ni eu peur, ni eu honte.

La tête toujours basse protégée par son rideau de cheveux, Anna Lisa n’avait pas vu le nouvel arrivant. On pouvait dire qu’elle ne voyait jamais arrivé quoique ce soit de toute manière… Elle était toujours beaucoup trop à la ramasse pour ca. Ce n’ai que lorsque Valente lui adressa la parole qu’elle comprit qu’elle n’était plus seule.

« Scusami. »

Le visage de l’italienne sortit doucement de son rideau protecteur. Visiblement surprise, la jeune femme regarda Valente avec son regard de biche, pas vraiment effrayée, mais pas vraiment en sécurité non plus, plus étonné qu’autre chose. Si elle le connaissait ? Bien entendu. Sa sœur le haïssait fondamentalement, et de surcroit, elles avaient tué son frère pour finir par le lester au fond du lac de Côme. Valente Visconti. Quand elle le regardait cela ne faisait que d’augmenter sa culpabilité. Bien qu’en théorie elle n’avait rien à se reprochait, elle n’avait fait que sauver Fausta. C’était sa sœur ou lui, le choix avait été vite fait. Mais pour cette bonne action, elle avait dépouillé Valente de son frère, et elle irait en enfer, elle en était sure. Alors quand elle posa ses regard sur lui, Anna Lisa préférait oublier qu’il était un supposé « Ennemi » pour soulager un peu sa conscience, et surtout parce qu’elle n’était pas une Della Guerardesca, elle ne le jugerait donc pas en tant que Visconti, ni en tant que frère de Parise.

« Posso fumare ? »
« Sì, bene su. »

Elle le regarda s’asseoir à côté de lui et, une fois que ce fut fait, elle lui tendit sa merveille. Si on lui avait dit, un jour, qu’elle allait partager un joint avec le frère du type qui avait violé sa sœur et qu’elles avaient fini par tuer à coup de brique… Elle ne l’aurait jamais cru. Même par le biais d’une vision, Anna Lisa se serait cru tout simplement folle. Et pourtant elle était là avec lui, et c’était bizarre, mais elle semblait que tout était soudainement à sa place.
Anna Lisa, étrangement en confiance, retourna son attention sur la chose qu’elle avait entre les doigts, et sans vraiment hésiter elle le montra à Valente tout en demandant.

« Hai un'idea di ciò che ciò può essere? »
« As-tu une idée de ce que ca peut être ? »

« io... ciò mi detto qualche cosa ma… non so che cosa »

Anna Lisa s’était doutée que Valente ne savait pas plus qu’elle ce qu’était cet objet. Non pas qu’elle pense qu’il soit stupide, ça elle ne le connaissait pas assez pour le savoir, mais lorsqu’on prenait au hasard un objet dans la salle de divination on s’attendait à ce que personne ne sache vraiment ce que c’était. Alors la jeune femme reprit l’ONI et le posa sur ses cuisses alors qu’elle ressortait sa boite à merveille pour s’en rouler une autre. Elle laissait volontiers l’autre à Valente, ça avait l’air de lui faire du bien. Une fois cela fait, la jeune femme alluma sa merveille et tira dessus dans le silence le plus plat. L’italienne était loin d’être une grande bavarde, encore moins lorsqu’elle était assise à côté du frère du mec qu’elle avait tué quelques années plutôt. Non, on ne pouvait pas dire qu’elle ai grand-chose à dire, encore plus à Valente Visconti.
Alors qu’elle apprécie amplement l’effet de sa merveille, le regard gris-vert de la jeune femme se pose sur l’objet qui trône sur ses jambes. Elle tire une nouvelle latte, et c’est petite grâce, ou à cause, de celle-ci qu’Anna Lisa croit distinguer une lumière dorée au centre de l’objet. Cette lumière est envoutante, presqu’hypnotisante en réalité. En tout cas, c’est l’effet qu’elle produit sur Anna Lisa. Elle la trouve belle.

« Guarda. »
« Regarde. »

Anna Lisa prend l’objet dans la paume de sa main et la dirige vers Valente pour qu’il la voit lui aussi. Et alors que l’a jeune artiste louche à moitié sur la lumière, elle croit y distinguer quelque chose à l’intérieur. Une forme, une silhouette quelque chose du genre. En tout cas, c’est une femme et elle a de très belles chaussures.

« Dove l'hai avuto? »
« Nella sala di divinazione. »
« Dans la salle de divination. »

Elle avait répondu distraitement, comme elle le faisait souvent. A vrai dire elle n’arrivait pas à détacher son regard de la jeune femme aux belles chaussures qui se trouver dans la bulle qu’elle tenait dans les mains. Mais alors que l’italienne était envoutée par la lumière dorée, Valente se redressait et lui tendit une chocogrenouille qu’elle ne regarda pas. Parce qu’elle n’arrivait pas à détacher son regard de l’objet.

« Per ringraziarti… »

A vrai dire la lumière semblée presque sortir de l’objet. A vrai dire elle sortait de l’objet, et se dirigeait vers elle. Anna Lisa ne bougeait pourtant pas alors qu’elle se faisait englober par un cocon protecteur. Elle était dans un état second, consciente de rien, si ce n’était du fait que la scène se jouant dans la boule se trouvait maintenant autour d’elle. Elle leva les yeux pour se voir avec ces magnifiques bottes aux pieds. Oh mon dieu, elle ne savait pas où elle allait les acheter, mais elle avait hâte. La jeune femme se vit pousser une porte, dans une maison complètement inconnue, avant d’entrer, visiblement inquiète dans une chambre d’homme. Elle y trouva Valente, et bizarrement, elle ne s’étonna pas du fait que quelques secondes auparavant elle était en train de lui parler, et que ce n’avait pas du tout était dans le même cadre. Non Anna Lisa se contenta de regarder son double s’approcher doucement de l’italien. L’observatrice se leva, et bien qu’elle soit comme dans un rêve, elle porta sa merveille à ses lèvres. Bizarrement, les détails se firent encore plus vifs après qu’elle ait inspiré sa latte.

« Allora ? Che cosa hanno dice ? »
« Alors ? Qu’ont ils dit ? »
« Sano malato grande sorella… »
« Je suis malade grande sœur…

Elle en tomba sa merveille à terre. Elle venait bien d’entendre Valente Visconti l’appeler grande sœur là ? Oui, elle en aurait mis sa main à couper. Sans comprendre comment, ni pourquoi, son double prit Valente dans ses bras et Anna Lisa, elle, prit peur.

Alors qu’Anna Lisa tentait tant bien que mal de comprendre quoique ce soit à l’étrange scène qui se jouait devant elle, elle ne put avoir d’autre réaction que celle de reculer. Prendre fuite devant une vérité trop dure, trop acérée, trop horrible. Parce que si elle ne mettrait pas de mots ni en son ni en pensant sur tout ce que cela impliquait, la jeune femme, au fond d’elle et de son esprit fragile, savait très bien tout ce que ça voulait dire. Son dos heurta le mur de pierre contre laquelle elle était précédemment assise. Et alors que toutes échappatoires se fermées face à cette terrible vérité, leur doubles, à Valente et elle-même, commençaient doucement à se transformer en une brume, petit à petit, commençant par flouter les détails de leur corps pour n’en laisser que des silhouettes qui elles aussi s’estompèrent alors qu’ils s’étreignaient encore même dans leur dernier soupir. Au final la lumière qui l’englobait en fit de même, et son cocon révélateur de vérité quitta son opacité divinatrice pour la ramener à l’implacable vérité, mais surtout à Valente Visconti qui la regardait visiblement inquiet de ce qui venait de se passer. La jeune femme resta collée au mur qui lui barrait toutes fuites vers ses nuages protecteurs. Sa merveille gisait à terre, donnant elle aussi son dernier souffle transformant la scène en lieu de meurtre terrible et infâme. Le meurtre de l’inconscience.
L’italienne, contrairement à sa sœur, n’avait jamais détestait les Visconti. Et pour cause, se sachant ne pas être une Della Gherardesca elle avait toujours mit un point d’honneur à ne pas entrer dans ce jeu malsain qui se livraient les deux familles. Mais pourtant à l’heure actuelle, elle ne les avait jamais autant détestés. C’était totalement illogique. Ils n’y étaient pour rien. Ils étaient ceux qu’elle cherchait depuis bien longtemps aussi. Mais la peur, en plus d’être présente à son état mortifiante naturelle, se mua aussi en se serpent porteur de mal qu’on appelait haine. Le regard si doux et calme d’Anna Lisa prit des teintes vertes de frayeur et rouge carmin de ce non amour qui était le contraire de ce qu’elle aurait cru donner à celui qui était son propre frère. Elle ne voulait pas de cette vérité-là, elle aurait pris n’importe laquelle sauf celle-ci. Elle voulait de ce chemin qui la mènerait vers ses songes les plus fous. Si les rêves avaient pu être une science, elle aurait voulu pouvoir être une maitresse en la matière pour modeler la réalité à son goût dans un monde féerique où les horloges seraient molles à la Dali, où les sanglots des fantômes seraient récupérés avec un sanglophone, et où elle pouvait choisir sa famille dans un catalogue et surtout ne pas avoir… Non, elle ne mettrait pas ce qu’elle savait au fond pourtant très bien en paroles ou alors en pensée. Elle voulait que le mur dans son dos disparaisse pour prendre des formes d’escaliers qui onduleraient vers le ciel, là dans ses nuages, elle serait protéger de tout cela. Des Visconti. Des Della Gherardesca.

« Devo andare lì. »
« Je dois y aller. »

Elle avait murmuré cela avec une voix tremblotante de neutralité. La jeune femme lâcha du regard le Visconti pour ramasser ses affaires étalés sur le sol. Sa boite à merveille fut la première à rejoindre l’obscurité protectrice de son sac à songes. Elle ne voulait qu’une chose à ce moment-là. Rejoindre sa chambre, se jeter sur son lit, et penser à autre chose.